Introduction
James Joyce, maître du langage et des expérimentations littéraires, est sans conteste l’auteur des onomatopées les plus mémorables de la littérature moderne. Deux mots sortent du lot : bababadalgharaghtakamminarronnkonnbronntonnerronntuonnthunntrovarrhounawnskawntoohoohoordenenthurnuk (100 lettres !) et tattarrattat, plus court mais non moins remarquable. Que racontent ces mots du rapport entre son et littérature ?
Le tonnerre primitif de Finnegans Wake
Dès les premières lignes de Finnegans Wake (1939), Joyce frappe fort avec ce mot de 100 lettres pour représenter un coup de tonnerre. Ce n’est pas une simple onomatopée : il symbolise la chute mythique d’Adam et Ève, la « chute » fondatrice. Joyce crée ici le premier de ses dix "thunderwords", chacun marquant un bouleversement historique ou symbolique. Le mot incorpore des fragments sonores issus de multiples langues, créant une cacophonie contrôlée où l’on perçoit des racines de mots liés au tonnerre dans le monde entier.
"Tattarrattat" : palindrome sonore dans Ulysses
Moins imposant mais tout aussi brillant, tattarrattat fait son apparition dans Ulysses (1922), où il désigne le bruit sec et rapide d’un coup frappé à la porte. Ce mot est reconnu par le Oxford English Dictionary comme le plus long palindrome onomatopéique en anglais. Avec ses 12 lettres, il se lit dans les deux sens et incarne l’idée même de la résonance. C’est une illustration parfaite du goût de Joyce pour les jeux de sons et les effets stylistiques.
Deux sons, deux intentions
Si bababadalgharaghta... est un cri tellurique, archaïque et polyglotte, tattarrattat est une trouvaille phonétique précise, presque minimaliste dans sa construction. Ensemble, ils incarnent les deux pôles de l’expérimentation joycienne : la prolifération et la condensation. L’un tonne, l’autre claque, mais tous deux nous rappellent que le langage écrit peut vibrer comme une onde sonore.
Conclusion
Avec ces deux mots, Joyce ne se contente pas de jouer avec le langage : il l’écoute, le fait résonner, le transforme en matière sonore. Ces onomatopées sont des marqueurs puissants de sa volonté de réconcilier l’oralité et l’écrit, le bruit et le sens. Elles font de la lecture une expérience auditive aussi bien qu’intellectuelle.
Et vous, avez-vous déjà croisé des mots qui vous ont frappé par leur sonorité plus que par leur sens ?